10e édition du Concours International pour OrgueL’Abbaye de Saint-Maurice a accueilli la finale de la 10e édition du Concours International pour Orgue qui s’est tenue le dimanche 15 août ; un événement exceptionnel pour un instrument qui a marqué l’histoire.
Ce concours, fondé en 2001 par le chanoine Georges Athanasiadès, est membre de la prestigieuse Fédération Mondiale des Concours Internationaux de Musique. En souvenir de l’organiste Georges Cramer (1909–1981), la Fondation qui porte son nom organise tous les deux ans une nouvelle édition ; la dernière s’est déroulée du 10 au 15 août entre Saint-Maurice et Lausanne. Georges Cramer fut l’organiste de Saint-François à Lausanne de 1947 à 1974 et professeur inoubliable au Conservatoire de cette ville. Son enseignement hors du commun transmettait la richesse des traditions françaises et allemandes qu’il avait reçue de ses maîtres William Montillet, Emile Blanchet et Otto Barblan.
Cette année, onze talentueux organistes venus de dix pays différents se sont qualifiés lors d’une première étape éliminatoire sur vidéo dans laquelle ils devaient présenter un programme libre de quinze minutes, comportant l’un des Chorals de Schübler. Ils ont ensuite joué sur six orgues différents : un à l’église Saint-Sigismond et deux dans la basilique de Saint-Maurice, ainsi que trois à Saint-François de Lausanne (Organopole). Parmi les participants, Damien Savoy était le seul représentant suisse. Avant de revenir sur le concours, faisons la connaissance de cet organiste qui nous vient de Fribourg.
Une histoire de clavierDès l’âge de 8 ans, Damien Savoy a goûté à la musique, plus précisément au piano. « Ma prof de piano, également directrice d’un chœur paroissial, trouvait qu’il manquait d’organistes. Elle m’a alors motivé à me lancer en me conseillant de rejouer mes morceaux de piano, mais sur un orgue », se souvient le Fribourgeois domicilié à Progens avant d’ajouter : « l’ancien organiste de l’église de Poliez-Pittet, mon village natal, m’a ouvert grand ses portes. J’ai ainsi pu faire mes premiers pas avec cet instrument incroyable. »
Pour Damien Savoy, cet instrument offre une grande variété. « Dans mon village natal, je jouais sur un très bel orgue de 1929. J’aime la beauté de la sonorité et l’acoustique qu’il produit. Sans oublier le cadre qu’offrent les églises ; j’aime y jouer à plein volume et ressentir cette puissance. Tout me plaît dans l’orgue : sa puissance certes, mais aussi sa douceur et sa poésie. On n’a jamais fini de découvrir de nouvelles choses. En prime, il permet d’être créatif dans la recherche de la sonorité, sans oublier l’extraordinaire répertoire de cet instrument », explique-t-il. Quant à la question de connaître son orgue préféré, le Fribourgeois répond : « Ayant beaucoup voyagé, j’ai eu l’occasion de jouer sur de nombreux orgues exceptionnels, mais j’ai un attachement particulier pour celui qui se trouve à la Basilique Notre-Dame de Neuchâtel ; je joue dessus depuis longtemps. »
Un parcours impressionnantDamien Savoy possède un grand bagage tant théorique que pratique. Il détient un master en musicologie et philosophie à la Faculté des Lettres de l’Université de Fribourg, un certificat de la classe d’orgue de Pierre-Alain Clerc au Conservatoire de Lausanne et un master de concert auprès de
Maurizio Croci, à la Haute Ecole de Musique à Fribourg. Aujourd’hui, le Fribourgeois est titulaire des orgues de la Basilique Notre-Dame (Église Rouge) de Neuchâtel et de l’église Saint-Loup de Le Crêt (FR). Il est également organiste cotitulaire à Châtel-St-Denis.
Le chant fait aussi partie de ses passions. Au bénéfice d’un certificat de chant et de direction chorale obtenu au Conservatoire de Fribourg, il dirige le chœur de La Persévérance du Crêt tout en poursuivant sa formation en préparant un certificat supérieur de direction chorale.
La préparationPour Damien Savoy, il s’agissait de son deuxième concours. « J’ai participé à un concours à la fin de mes études ; un moment crucial de ma vie car je n’étais plus accompagné. Etant seul et pas habitué à la préparation d’un tel événement, je n’ai pas été très loin. Ensuite, je n’ai pas mis la priorité sur ce type de challenge ; sans doute une erreur, car c’est une expérience très importante », précise-t-il. Le Fribourgeois a cette fois-ci abordé l’événement différemment. « J’ai appris beaucoup de choses depuis la fin de mes études et j’ai mûri. J’ai aussi consacré du temps à m’entraîner, ce qui m’a permis d’entrer dans le concours avec plus d’aisance et de confiance. »
Pour le concours, les participants devaient choisir entre différentes œuvres proposées par les organisateurs. Il ne fallait toutefois pas tomber dans le piège d’une interprétation trop académique. « La fidélité au texte est importante, tout comme l’interprétation. Il faut éviter de jouer de l’orgue comme on taperait sur une machine à écrire. Pour ce concours, je souhaitais amener une note personnelle. Il faut être capable de ressentir la musique, mais également de la faire ressentir aux auditeurs. Franz Liszt disait qu’après avoir déchiffré une pièce, c’est seulement là que le vrai travail commence. »
Un bilan positifC’est l’église Saint-Sigismond de Saint-Maurice qui a accueilli le premier tour le 10 août. Damien Savoy se réjouissait de retourner dans ce lieu de culte qu’il connaît bien : « J’ai un fort attachement à cette commune et à cette église depuis ma participation à la Semaine Romande de Musique et Liturgie organisée chaque année à Saint-Maurice. J’avais déjà beaucoup joué sur cet orgue », confie-t-il. Sur le programme imposé, le Fribourgeois a sélectionné le prélude et fugue « BWV 543 » en la mineur de Jean-Sébastien Bach et la deuxième fantaisie de Jehan Alain.
Damien Savoy n’a toutefois pas atteint l’étape suivante. « De par le niveau très élevé des concurrents, je savais que j’avais peu de chance d’aller plus loin dans le concours. Mon but n’était pas de le remporter, mais de relever un défi. Ce qui compte, c’est ma progression. De plus, après la finale, les membres du jury nous ont fait un retour concernant nos prestations. Je me réjouis des commentaires positifs reçus qui me confirment que j’avais ma place dans le concours. Ce retour était très important pour moi. »
L’organiste n’a pas dit son dernier mot pour autant : « Je ne suis pas fermé quant à la participation à d’autres concours. Toutefois, ce ne sera pas celui de Saint-Maurice, puisque dans deux ans j’aurai dépassé la limite d’âge fixée à 35 ans. » En attendant, Damien Savoy prévoit de donner plusieurs récitals et participera à deux concerts. Le premier se tiendra à la Basilique de Neuchâtel le 2 octobre à 20 heures à l’occasion de l’inauguration de la construction d’un orgue de chœur. Il s’agira donc d’une soirée mêlant chœur et musique. Il accompagnera ensuite la messe solennelle de Louis Vierne au Yehudi Menuhin Forum à Berne le 21 novembre à 17 heures.
Le point d’orgueAprès le deuxième tour organisé à l’église Saint-François à Lausanne, le 13 août, la finale s’est tenue deux jours plus tard à l’Abbaye de Saint-Maurice. Trois candidats étaient qualifiés. Ils ont chacun joué six morceaux. Pour l’un d’eux, le concerto numéro 2, opus 4, de Georg Friedrich Haendel, les organistes étaient accompagnés d’un quatuor à cordes issu des Symphonistes d’Octodure. Durant plusieurs heures, les deux orgues de la basilique ont fait résonner des œuvres écrites par des auteurs extraordinaires et ayant chacun marqué l’histoire à des époques différentes : Haendel (1685 – 1759), Bach (1685 – 1750), Liszt (1811 – 1886), Ropartz (1864 – 1955) et Escaich (1965 -).
Au terme de cette finale, alors que les sept membres du jury délibéraient (six organistes et un pianiste), les auditeurs pouvaient eux aussi donner leur voix pour le prix du public. Minjun Lee venant de Corée du Sud a réalisé un carton plein. Il a conquis tant le jury que les spectateurs. Il a ainsi remporté le Prix de l’État du Valais d’une valeur de 10’000 francs et 500 francs supplémentaires pour le prix du public. Il donnera également cinq concerts : le 19 septembre à 15h (entrée libre) à la basilique de Saint-Maurice, puis à l’occasion d’autres dates à la cathédrale Saint-Nicolas de Fribourg, à la collégiale de Neuchâtel, à l’église Saint-François de Lausanne et en Italie, à Sant’Elpidio a Mare. Ce dernier sera donné en mémoire du Maestro Luigi Celeghin, fondateur et directeur artistique du festival international d’Orgue de Sant’Elpidio
Pour terminer le classement de cette journée incroyable, la seconde place est revenue à la Russe Anna Ivanóva. Elle a gagné le Prix de la ville de Saint-Maurice d’Agaune d’une valeur de 6’000 francs. Le français Yanis Dubois se classe quant à lui à la troisième place du concours.
Un bel avenirL’orgue a encore de belles années devant lui, grâce à l’organisation de ce concours, mais aussi par la création d’un Centre d’Excellence Musicale pour Orgue. Pour cela, la Fondation de l’Abbaye de Saint-Maurice gère actuellement la recherche de fonds pour le relevage et l’agrandissement du Grand Orgue de la basilique de Saint-Maurice ; un projet global dont le montant s’élève à un peu plus de 2 millions de francs. À terme, l’instrument se parera de deux claviers supplémentaires, cinq au total, et de plus de deux mille tuyaux supplémentaires, sept mille au total. La cerise sur le gâteau : ce nouvel orgue sera doté d’une deuxième console qui sera mobile, les organistes pourront donc jouer devant le public ainsi qu’en étant mêlés aux musiciens ou aux choristes lors de concerts. En prime, les deux consoles permettront également de piloter l’orgue de chœur. Les travaux débuteront l’année prochaine et s’achèveront en 2023. Le Grand Orgue sera inauguré à l’occasion de la 11
e édition du Concours International. Le Centre d’Excellence Musicale pour Orgue se mettra ensuite successivement en place et interviendra afin de sensibiliser la jeunesse à cet instrument à travers des concerts et des événements. Des cours d’improvisation ainsi que des cours à la carte seront proposés ; l’objectif étant de travailler en lien avec les conservatoires de musique.